Une série de débats pour enfin prendre nos responsabilités pour retrouver un climat stabilisé

La séance a été très dense et son résumé n'apportera pas autant que son visionnage intégral que nous recommandons sur le lien facebook : (18) Assises du Climat | Facebook

Le montage de 25 minutes est disponible ICI

(Pour les prochaines sessions, nous recommandons aux auditeurs de couper leurs caméras car leur image risque de rester incrustée.)

Un résumé texte est proposé ICI

Les leçons tirées par Pierre Calame, disponibles aussi ICI :

Assumons-nous collectivement nos responsabilités face au réchauffement climatique ?

 

Leçons tirées de la troisième session des assises du climat (25 février 2021)

 

1. Un panel d’intervenants de haut niveau

 

Malgré l’absence regrettée de Mireille Delmas Marty, la session a été très riche, en croisant les regards et l’expérience de :

- Corine Lepage, ancienne ministre de l’environnement, présidente de CAP 21 et initiatrice de la Charte sur les droits de l’humanité, avocate spécialisée dans l’environnement ;

- Dominique Potier, député socialiste de Meurthe et Moselle et l’un des promoteurs principaux de la loi française sur le devoir de vigilance ;

- Sébastien Mabile, avocat, menant actuellement le procès contre la société Total ;

- Gilles Berhault, ancien président de Comité 21 et actuel délégué général de la Fondation des transitions / STOP exclusion énergétique ;

- Raymond Zaharia, ingénieur retraité du CNES, directement impliqué dans le dialogue avec Mireille Delmas Marty pour soumettre les propositions juridiques à la Convention citoyenne sur le climat ;

- Muriel Raulic, une des citoyennes les plus engagées de la convention citoyenne pour le climat ;

- Pierre Calame, auteur du livre « Métamorphoses de la responsabilité et contrat social » (ECLM 2020).

 

2. La difficile mise en œuvre de l’obligation de résultat dans le cadre juridique actuel

Le point de départ de notre réflexion était de se demander quelle devrait  être l’effectivité d’une obligation de résultat d’acteurs publics et privés. À qui une telle obligation est-elle opposable et en vertu de quel droit ?

Le cadre juridique actuel dans lequel se pose cette question est marqué par trois caractéristiques :

-les « piliers » de la Communauté Internationale actuelle, charte de l’ONU et Déclaration universelle des droits humains ne traitent pas directement des responsabilités des acteurs vis-à-vis de l’intégrité de la biosphère, du climat et plus généralement des communs mondiaux ;

- les acteurs publics et privés voient leur impact masqué par deux voiles, un voile juridique qui dissimule la réalité des relations d’allégeance et d’interdépendance au sein de filières mondiales de production mobilisant des milliers d’acteurs ; un voile de souveraineté qui dissimule, aux yeux de tribunaux qui continuent à exercer pour l’essentiel dans un cadre national, tout ce qui se passe en dehors de ce territoire ;

-la responsabilité est individuelle, porte sur l’impact de faits passés et ne concerne que l’atteinte à d’autres humains.

Ni la réalité des interdépendances mondiales, ni l’empreinte carbone totale des sociétés, ni les effets combinés de myriades d’acteurs sur le climat ne peuvent être correctement appréhendés dans ce cadre. En définitive, l’addition des responsabilités limitées de chaque acteur aboutit à des sociétés à irresponsabilité illimitée.

Nous avons donc exploré les réponses possibles à ces impasses : réponses à différents horizons temporels, depuis les avancées récentes jusqu’aux perspectives à long terme ; et à différentes échelles, de l’échelle nationale à l’échelle mondiale.

3. L’obligation de résultats qu’un État s’est lui-même fixé lui est opposable

Corine Lepage, qui a conduit la plainte de la commune de Grande Synthe contre l’État, pour « inaction climatique » a montré les trois percées récentes qui ont permis en novembre 2020 au Conseil d’État de sanctionner l’État français pour manquement au respect des objectifs qu’il s’était lui-même fixé pour la période 2017 – 2019 et en lui donnant un délai de trois mois pour expliquer comment il entendait, pour les années qui viennent, respecter les objectifs qu’il s’est fixé.

Première percée, l’utilisation innovante de principes anciens. Comme l’illustre l’histoire de la législation sociale à la fin du 19e siècle, les progrès juridiques viennent souvent d’une interprétation nouvelle donnée à des principes préexistants. A l’heure actuelle, c’est la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et ses diverses conventions d’application qui constituent la seule référence internationale utilisable. Dans son principe général, elle énonce que les droits des uns n’ont de limite que les droits des autres et les diverses conventions d’application ont progressivement élargi le champ des droits, depuis les droits politiques jusqu’aux droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Ici, c’est le droit à la vie et le droit des enfants qui ont été opposés à l’action de l’État français. Ce recours à de tels droits pour réclamer des sanctions à l’égard d’acteurs publics et privés supposés ne pas assumer leur responsabilité face au réchauffement climatique est le point commun des 1600 procès du même type recensés aujourd’hui dans le monde.

Deuxième percée, la reconnaissance d’une obligation de résultat de la part de l’État. Les engagements volontaires pris dans le cadre de l’Accord de Paris de décembre 2015 ne sont pas opposables aux États. Par contre, le gouvernement français a transformé ces engagements en une loi de programmation : le Conseil d’État en a déduit que les objectifs fixés étaient effectivement contraignants.

Troisième percée, la mise en œuvre de l’obligation de résultats doit se traduire par une réduction des émissions de gaz à effet de serre année après année. Cette troisième percée est essentielle car, jusqu’à présent, les objectifs de réduction des émissions étaient fixés à un horizon suffisamment lointain, dix ans ou vingt ans, pour que le constat du non-respect de l’obligation de résultat soit trop tardif pour y remédier et pour mettre en cause la responsabilité de ceux qui ont pris ces engagements.

Obligation de résultat à valeur juridique, et rythme de réduction des émissions défini année après année : ce procès est emblématique de la nouvelle démarche de rationnement des émissions et de réduction du plafond année après année à un rythme fixé à l’avance.

4. La loi sur le devoir de vigilance adoptée en France en 2017 lève un coin du voile

Commentée par Dominique Potier cette loi préfigure, dit-il : « une nouvelle ère de la mondialisation, marquée par l’idée chère à Mireille Delmas Marty de souveraineté solidaire »

Pour la réflexion sur les obligations de résultat, cette loi est « passe muraille » et « passe frontière ».

« Passe frontières » car elle pose la question non plus des émissions sur le sol national mais du rôle des filières mondiales de production pour l’empreinte carbone totale de la société ; les entreprises donneuses d’ordres sont tenues de prendre en compte des impacts de la filière à l’extérieur du territoire national.

« Passe muraille » parce qu’elle soulève un coin du voile juridique : la vigilance de l’entreprise ne doit pas s’exercer seulement à l’égard des acteurs dépendant juridiquement d’elle mais à l’égard de tous les acteurs qui sont reliés à elle par des relations d’allégeance, relations qui donnent à l’entreprise donneuse d’ordres le pouvoir donc la responsabilité d’orienter leur comportement et d’évaluer leur impact. Même si, dans l’état actuel de la loi, on ne s’intéresse qu’au premier niveau de sous-traitance, c’est un premier pas en direction d’une traçabilité carbone des filières.

5. La loi sur le devoir de vigilance fait progressivement école à l’échelle européenne

C’est une belle illustration de la manière dont des innovations dans un pays membre, ici en l’occurrence la France, peut faire tâche d’huile pour influencer la législation européenne, dont on a vu (à la seconde session) que c’est la bonne échelle pour aborder les obligations de résultat. En effet, six pays européens sont déjà en train d’adopter des lois fondées sur les mêmes principes, sept autres ont entrepris un débat citoyen sur ce sujet et une directive européenne est en gestation, qui devrait aboutir dans l’année à venir. Des extensions à l’échelle européenne donneraient des moyens nouveaux d’aborder la traçabilité carbone des filières et l’empreinte carbone totale européenne.

6. Peut-on aujourd’hui faire condamner une grande entreprise pour inaction climatique ?

Sébastien Mabile a raconté la genèse et les enjeux du procès actuellement intenté à la société Total. Il est mené par une coalition d’organisations de la société civile et de collectivités territoriales, villes et régions, qui s’estiment exposées au changement climatique.

La démarche est ambitieuse dans la mesure où l’accord de Paris n’est opposable (et encore, comme on l’a vu !) qu’aux États mais non aux acteurs non étatiques. L’argumentaire utilisé consiste donc d’abord à rappeler que les émissions de la société Total sont à elles seules supérieures à l’émission territoriale de la France et qu’un réchauffement supérieur à 1,5° en moyenne, aurait, selon le GIEC, un impact grave sur la santé, donc une atteinte aux droits humains.

En vertu de ces constats, il est demandé à Total, comme à l’État français dans le cas de la plainte de Grande Synthe, d’adopter une obligation de résultat consistant, là encore, en une diminution dont Total devra rendre compte année après année.

Il est difficile de préjuger à l’heure actuelle des résultats de ce procès mais, quand on songe que jusqu’à présent, selon Total, la stratégie climat affichée par l’entreprise ne lui est pas opposable, on voit l’ampleur de la rupture possible : elle combine au nom du devoir de vigilance les trois aspects décrits précédemment : responsabilité à l’égard de l’ensemble de la filière ; obligations de résultat ; réduction année après année.

7. De nouvelles coalitions d’acteurs pour faire évoluer le droit

Le facteur commun des trois exemples qui ont été exposés, l’action contre l’État, la loi sur le devoir de vigilance et l’action contre Total ont une caractéristique commune, celle de reposer sur des alliances multi-acteurs d’une nature nouvelle : organisations de la société civile ; collectivités territoriales ; scientifiques ; juges ; responsables politiques.

8. De la responsabilité de quelques-uns à la coresponsabilité

Responsabilité des États, responsabilité des grandes entreprises multinationales : les actions restent menées en vertu de la concurrence des droits, souveraineté et liberté d’entreprendre d’un côté, préservation du droit à la vie, des droits des enfants…, de l’autre, mais dans une problématique qui trouve vite ses limites, celle d’une lutte des bons contre les méchants, celle des puissants qui ont des responsabilités face aux autres qui ne font que subir. C’est ce risque de dérapage qu’a souligné Gilles Berhault. Il estime, face aux risques de fragmentation de la société par le recours au droit, où les parties se tournent toutes vers le juge plutôt que se tourner Vers la recherche d'alliances. Il affirme qu’il faut d'une part développer une approche plus inclusive de la responsabilité et de la coresponsabilité tout en faisant de l’éducation un espace d’apprentissage de la participation, d’autre part en développant des scénarios d’action collective mobilisant ensemble différents types d’acteurs, par exemple pour citer une action entreprise aujourd’hui par Stop Exclusion énergétique : "sortir 1,5 millions de personnes de la précarité énergétique".

9. La cohérence des politiques publiques sur la sellette

La seconde session, consacrée à l’action à l’échelle européenne, avait déjà mis en évidence le problème de la cohérence entre de multiples politiques publiques construites au fil des décennies soit pour répondre à un problème de l’époque, soit pour résoudre un problème sectoriel ou satisfaire un segment de la population mais qui sont contradictoires les unes avec les autres. Ces contradictions se retrouvent à tous les niveaux, du niveau national avec des ministères dont chacun incarne à la fois un domaine d’action publique et des groupes d’intérêts, au niveau européen et au niveau mondial avec la juxtaposition des différentes agences.

Raymond Zaharia et Muriel Raulic ont travaillé avec Mireille Delmas Marty pour préparer des propositions citoyennes dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat, CCC. Une des propositions phare était précisément de modifier le préambule de la constitution pour y introduire une obligation de mise en cohérence des politiques publiques. C’était une autre manière d’aborder la question de l’obligation de résultat. Muriel Raulic a également fait référence au désir de certains de ses collègues de la CCC d’introduire une obligation de résultats sous forme de quotas individuels.

L’un et l’autre ont fait référence aux stratégies assez obscures menées par des experts imposés par les organisateurs de la CCC pour disqualifier ces deux idées. Il sera important de tirer la leçon de cette histoire dans la perspective d’une mise en débat des mêmes questions au sein de la conférence sur le futur de l’Europe. 

10. Vers une éthique et un droit planétaires

Si le recours innovant de la part des juges à l’idée de concurrence entre droits et à la préservation des droits humains fondamentaux pour mettre en cause la responsabilité des acteurs les plus puissants et exiger d’eux un changement de comportement et l’adoption d’obligations de résultat mesurables constitue une percée remarquable, si la loi sur le devoir de vigilance a permis de lever un coin du double voile juridique et national, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’expédients et que demeure le défi principal : face à des interdépendances mondiales, face à la dégradation de biens publics mondiaux, face à une communauté de destin de fait à l’échelle de toute l’humanité, il demeure impératif d’aller vers une éthique planétaire enracinée dans les traditions des différentes civilisations et vers des principes juridiques communs au niveau mondial, eux aussi enracinés dans les différentes traditions juridiques et sur la base desquelles chaque système juridique national puisse les concrétiser.

Deux initiatives complémentaires ont été rapidement présentées au cours de la session : la Charte des droits de l’humanité (en pratique droits et devoirs) portée par Corinne Lepage et la Déclaration universelle des responsabilités humaines portée par Pierre Calame. Dans les deux cas, il s’agit de donner à la notion de responsabilité de tous les acteurs la même ampleur, la même portée juridique que celle qui a été donnée à l’affirmation de leurs droits.

Dans un contexte, illustré tout aussi bien par la société Total que par les GAFA, d’entreprises dont les moyens d’actions et l’impact mondial sont bien supérieurs à ceux de la plupart des États, il n’est plus tenable qu’ils relèvent de droits nationaux. Nous avons besoin qu’une véritable communauté mondiale s’institue et ne se réduise plus comme aujourd’hui à une communauté inter-étatique, que les biens communs mondiaux fassent l’objet d’une gestion elle-même mondiale confiée à une agence effectivement capable d’interpeller les acteurs sur leurs obligations de résultat et que soit inventée à l’échelle mondiale une démarche délibérative citoyenne qui reflète les points de vue des différents types d’acteurs.

11. L’étape européenne d’une éthique et d’un droit supranationaux

Les premières étapes pourraient en être menées à l’échelle nationale et surtout à l’échelle européenne, avec l’adoption d’une Convention européenne des responsabilités humaines et l’extension en conséquence des compétences de la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg. En débattre devrait être un des enjeux de la prochaine conférence sur le futur de l’Europe. 

Les documents proposés par les intervenants : 

Obligation de résultats : quelle portée concrète ?

Introduction à la troisième session des Assises du climat

Pierre Calame, 25 février 2021


L’obligation de résultat, si elle n’est pas opposable, rejoint les éternelles déclarations d’objectifs et d’intentions toujours démenties par les faits.


Mais opposable à qui ? Quand le réchauffement climatique résulte d’une myriade d’acteurs et d’interactions à l’échelle mondiale ?

Et opposable sur quelle base ? En vertu de quel droit ? Avec quelle sanction dissuasive ?


Jusqu’à présent, peu de réponses convaincantes ont été apportées à ces questions. Si la responsabilité à l’égard des générations futures est invoquée depuis les travaux de Hans Jonas (le « principe responsabilité » a été publié en français, en 1990), si elle est une référence omniprésente des discours du genre « nous n’héritons pas de la terre nous ne faisons que l’emprunter à nos enfants » elle fait surtout l’objet de belles formules rhétoriques.


On notera aussi que les actions engagées en justice et dont nous allons parler en début de séance font en général le détour par les droits humains sans aborder franchement, frontalement, la question des responsabilités. Car, après avoir inventé au 19e siècle les sociétés anonymes à responsabilité limitée, pour faciliter le développement des entreprises en limitant les risques des entrepreneurs, nous avons dans les faits inventé au 20e siècle la « société à irresponsabilité illimitée ».


C’est pourquoi on ne pouvait pas dans ce cycle de débats, se contenter de discuter des solutions techniques et économiques, il fallait aussi aborder frontalement les réponses qu’il faut apporter à cette irresponsabilité illimitée.


Nous le ferons en explorant dans une première partie d’état des lieux, avec la responsabilité des Etats, les citoyens et les entreprises, puis en évoquant dans une seconde partie les réponses possibles aux échelles de la France, de l’Europe et du monde, au double plan de l’éthique et du droit.


Sur l'intervention de Corinne Lepage, voir l'UCLG   et la Déclaration Universelle des Droits & Devoirs Humains 


sur l'intervention de Dominique Potier : la loi de devoir de vigilance


Sur l'intervention de Sébastien Mabile voir https://www.aefinfo.fr/depeche/647182-reclaim-finance-et-greenpeace-attaquent-total-sur-ses-promesses-climatiques-et-en-appellent-aux-actionnaires 


Sur l'intervention de Gilles Berhault, son texte ICI.


Sur l'intervention de Raymond Zaharia :


Éthique et droit de la responsabilité : 

les fondements mondiaux de la gestion des biens communs 

Intervention de Pierre Calame à la troisième session des Assises du climat à partir du livre Métamorphoses de la responsabilité et contrat social (ECLM, 2020)

25 février 2021 


1. De tout temps, l’appartenance à une communauté implique le devoir de participer au bien commun. La colonisation, qui a promu l’idée de responsabilité limitée pour favoriser les investissements de mise en valeur outre-mer, puis le libéralisme, ont rompu le lien traditionnel entre droits et devoirs, ont cru pouvoir se dispenser de ce qui était le fondement de la vie en communauté. 


Revenir à cet équilibre, c’est fermer la parenthèse du monde infini où chacun peut  se borner à revendiquer ses droits. Les différentes Déclarations des droits de l’homme, de la déclaration américaine à la déclaration universelle de 1948 en passant par la déclaration française de 1789, postule que la liberté n’a de bornes que les entraves à la liberté des autres, que le droit de chacun n’a de bornes que les droits des autres. L’équilibre ne repose plus sur les droits et responsabilités mais sur la concurrence entre les droits des uns et des autres, à telle enseigne qu’on a tenté récemment d’allouer des droits à la nature pour que ceux-ci viennent en concurrence avec la liberté des humains de l’exploiter. 


2. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la « communauté internationale » s’est bâtie sur deux piliers, la charte des Nations-Unies et la déclaration universelle des droits de l’homme. Rien qui traite des relations entre l’humanité et la biosphère, cette dernière se trouvant donc réduite à des « ressources » à exploiter ou à préserver . Devant ce manque béant, et après une première tentative, lors du premier sommet mondial sur l’environnement à Stockholm en 1972, de promouvoir une charte de l’environnement, c’est à l’occasion du Sommet de la terre de 1992 que s’est manifesté avec éclat le besoin d’un troisième pilier de même valeur que les deux premiers. Malheureusement les chefs d’Etat  à l’époque n’en n’ont pas voulu, préférant substituer à ce troisième pilier, qui nécessairement reconnaissait leur responsabilité commune à l’égard des biens publics mondiaux, des déclarations internationales sans portée juridique réelle, y compris les engagements volontaires de l’Accord de Paris. On en est encore là et avec les conséquences que nous venons de voir, une irresponsabilité illimitée qui se perpétue. 


3. Et pourtant les évidences sont là, reconnues depuis les années 90 : aux interdépendances mondiales doit nécessairement correspondre une éthique planétaire et celle-ci, à son tour, doit pouvoir fonder un droit mondial nouveau.


- Une éthique dans laquelle les différentes cultures du monde puissent se reconnaître et qui puisse à son tour se décliner au sein de chacune de ces cultures ;

- Et un droit mondial  dont les grands principes soient communs, héritage des différentes traditions juridiques et pas seulement de la tradition occidentale, à charge pour chaque tradition juridique de les décliner.

C’est le sens du groupe de travail international qu’a animé Mireille Delmas Marty , groupe auquel j’ai eu l’honneur de participer et qui publie très prochaine un livre au titre évocateur : « sur le chemin d’un jus commune universalisable ». Vous en trouverez le sommaire sur notre site web.


4. Cette éthique planétaire et ce droit mondial doivent être l’expression d’une communauté mondiale de destin : c’est actuellement pourrait on dire une communauté de fait, car nous partageons, comme l’illustre le climat, un destin commun, mais  ce n’est pas encore une communauté qui  s’est instituée : la communauté internationale actuelle est en fait une simple communauté des Etats et gouvernements.


5. Une éthique planétaire au carrefour de l’éthique des différentes civilisations.

La réflexion interculturelle à laquelle j’ai participé dans les années 90  a montré que c’est la responsabilité qui est le fondement de l’éthique planétaire  et cela pour une bonne et simple raison : faire partie d’une communauté est équivalent à dire que l’on reconnaît la nécessité de prendre en compte notre impact sur les autres membres de la communauté. Ainsi communauté et responsabilité sont les deux faces de la même monnaie. 


Vous voyez le parallèle intime entre la recherche d’une éthique planétaire, qui suppose de plonger  dans les racines des valeurs des différentes sociétés et la recherche d’un jus commune universalisable, qui implique de plonger aux racines du droit dans les différentes cultures. 


6 . Mais comment la responsabilité doit elle se définir tant au plan éthique qu’au plan juridique ? Pour comprendre le fossé existant aujourd’hui entre la responsabilité que nous pratiquons, et qui a  conduit à l’irresponsabilité illimitée  des sociétés, et  la responsabilité qui serait au fondement d’une communauté mondiale de destin, il faut examiner les six dimensions de la responsabilité : 

-responsabilité subjective ou objective ? 

-responsabilité limitée dans le temps et dans l’espace et la nature des sanctions ou responsabilité illimitée ? 

-responsabilité individuelle ou collective ? 

-responsabilité  à l’égard des actes passés ou à l’égard des conséquences futures ? Limitée à ce qui est prévisible ou incluant les impacts imprévisibles ?

-responsabilité vis-à-vis des seuls humains ou vis-à-vis de l’ensemble de la biosphère ?

- responsabilité en terme d’obligations de moyens ou d’obligation de résultat ? 


Pour  ces six dimensions  il est facile de voir que la responsabilité, telle que nous l’entendons actuellement,  se situe du côté du pôle de gauche et la responsabilité à construire du côté du pôle de droite. 


7. Tant que nous n’avons pas franchi le pas, tant que les Constitutions nationales, le droit européen, le droit international n’auront pas fait mouvement, nous resterons dans le contexte actuel. Une situation d’impunité des acteurs publics et privés, en particulier des acteurs internationaux dont la responsabilité objective est placée hors d’atteinte du droit et de la sanction par la juxtaposition des voiles juridique (nos responsabilités vis-à-vis des filiales et sous-traitants) et national (ne sont saisies que les conséquences sur le sol national) ; une situation de sommeil dogmatique, comme le dit le grand juriste Alain Supiot, qui nous empêche de voir qu’à situation nouvelle réponse nouvelle, ce qui explique comme le dit Mireille Delmas Marty que l’humanité a perdu le contrôle de sa propre destinée et que les systèmes juridiques actuels contribuent à cette perte de contrôle. 


8. Peut-on sortir de l’impunité et du sommeil dogmatique ? Peut-on sortir de l’irresponsabilité illimitée ? Ma réponse est oui et, qui plus est, je suis convaincu que la France et plus sûrement encore l’Union-Européenne peuvent ouvrir la voie. Il faut pour cela reconnaître que dans l’avenir, en raison même de l’ampleur des interdépendances mondiales, le niveau fondamental de la gouvernance et du droit ne sera plus les Etats et les relations interétatiques mais bel et bien le niveau mondial. Cela implique t-il l’utopie d’un Etat mondial ? La difficulté à véritablement construire un Etat européen montre que faire de l’institution d’un Etat mondial un préalable à l’établissement d’un véritable droit international de la responsabilité est le meilleur moyen d’y renoncer.

L’exemple de l’Europe mérite réflexion. Comme le dit très bien Georges Berthoin, qui fut directeur de cabiner de Jean Monnet : « lors de la Déclaration Schuman de 1950, nous avons découvert que ce qui paraissait historiquement impossible (le dépassement de souverainetés), devenait possible. A l’époque nous étions considérés comme des idéalistes un peu irresponsables mais en fait nous étions réalistes avant les réalistes du moment ». Et il ajoute : « ce que nous avons réalisé en Europe sera un jour utilisable sur le plan de la gouvernance mondiale, qui est le grand défi du 21ème siècle ».

9. Un point d’appui : la Déclaration universelle des responsabilités humaines

Cet intitulé, qui souligne le parallélisme avec la Déclaration universelle des droits humains, a été à l’origine introduit en 1997 par l’Interaction Council, qui réunissait d’anciens chefs d’État sous l’impulsion de l’ancien chancelier allemand, Helmut Schmidt. Nous l’avons, au sein de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire, repris à notre compte.

Voici les huit principes énoncés dans la Déclaration :

1. L’exercice par chacun de ses responsabilités est l’expression de sa liberté et de sa dignité de citoyen de la communauté mondiale;


2. Chaque être humain et tous ensemble ont une co-responsabilité à l’égard des autres, de la communauté proche et lointaine, et à l’égard de la planète, en proportion des avoirs, du pouvoir et du savoir de chacun.


3. Cette responsabilité implique de prendre en compte les effets immédiats ou différés de ses actes, d’en prévenir ou d’en compenser les dommages, que ceux-ci aient été ou non commis volontairement, qu’ils affectent ou non des sujets de droit . Elle s’applique à tous les domaines de l’activité humaine et à toutes les échelles de temps et d’espace.


4.Cette responsabilité est imprescriptible dès lors que le dommage est irréversible.


5. La responsabilité des institutions, tant publiques que privées, quelles que soient les règles qui les régissent, n’exonère pas la responsabilité de leurs dirigeants et réciproquement.


6. La possession ou la jouissance d’une ressource naturelle induit la responsabilité de la gérer au mieux du bien commun.


7. L’exercice d’un pouvoir, nonobstant les règles par lesquelles il est dévolu, n’est légitime que s’il  répond de ses actes devant ceux et celles sur lesquels il est exercé et s’il s’accompagne des règles de  responsabilité à la hauteur du pouvoir d’influence exercé.


8. Nul ne peut s’exonérer de sa responsabilité au nom de son impuissance s’il n’a fait l'effort de s’unir à d’autres, ou au nom de son ignorance s’il n’a fait l’effort de s’informer.


10. Quelles peuvent être les prochaines étapes ?

a) une initiative européenne. La Conférence sur le futur de l’Europe pourrait être l’occasion d’une démarche de démocratie délibérative mettant en débat les fondements du droit européen, l’adoption d’une Convention européenne des responsabilités humaines et l’extension en conséquence des compétences de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Nous avons évoqué cette Conférence à la seconde session à propos du Nouveau pacte Vert : ce serait le moyen que les citoyens européens se saisissent vraiment des enjeux du 21ème siècle et du rôle de l’Europe face à ces enjeux. Ce que certains appellent un nouveau Siècle des lumières.

b) Imaginer un processus délibératif international associant les différents milieux socio-professionnels au débat sur le socle éthique du droit mondial à construire.

Faut-il pour cela une nouvelle juridiction mondiale ? Non. Les cours régionales des droits de l’homme se nourrissent déjà mutuellement par jurisprudences croisées. Elles le feront tout autant pour la mise en œuvre des principes universels de responsabilité.

c) Traduire les principes de la Déclaration universelle des Responsabilités Humaines au niveau des différents milieux socio-professionnels comme fondement du nouveau contrat social.